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Prostitution masculine, ce qu'en disent les clients

Published 17 Feb 2020

omment avez-vous pu obtenir les témoignages qui illustrent « Doubles Vies » ? J’ai d’abord eu l’occasion d’être moi-même client, à cette occasion j’ai été très surpris de constater que ces garçons ne correspondaient pas du tout aux images habituelles véhiculées dans les médias. Partant du constat qu’on n’entend jamais la voix des clients, j’ai commencé à réfléchir à mon propre statut de client : dans quelles circonstances on le devient ? Qu’est ce que l’on ressent ? Pourquoi n’en parlons-nous jamais autour de nous ? Je me suis alors décidé à chercher à en rencontrer. On entend parfois des voix de prostitué(e)s, notamment via le Strass, mais les clients semblent ne pas exister... Que sait-on des clients de la prostitution ? Le client est le grand planqué dans le débat sur la prostitution. Plus que le travailleur sexuel, il est stigmatisé. On ne sait pas grand-chose des clients, et je pense être un des premiers à en parler autant. J’en ai rencontré une bonne cinquantaine, et interviewé longuement une vingtaine. J’ai cherché à en présenter un échantillon représentatif dans mon livre, mais avec une énorme limite : tous les escorts le disent, la majorité de leurs clients sont des hommes mariés, en couple avec une femme. Or aucun de ceux là n’a accepté de me rencontrer. J’ai dû me limiter à des clients ouvertement homosexuels. C’est ce qui m’a le plus frappé : escorts et clients partagent cette espèce de clandestinité. On ne se vante pas d’être « pute », mais annoncer que l’on est « client » c’est presque pire. Le prostitué se fait payer parce qu’il a des atouts, il est sexy. Mais le client ? Non seulement il fait un peu pitié, mais c’est lui le responsable, c’est le pervers qui détourne la jeunesse. Les partisans de l’interdiction de la prostitution considèrent les prostitués comme de pauvres victimes contraintes d’en arriver là, et réclament une pénalisation du client, qui à leurs yeux est le vrai coupable. Dans ce contexte, rien ne peut inciter les clients à sortir du placard ! Le seul coming-out public que je connaisse est celui de Frédéric Mitterrand, très joliment écrit dans son livre La mauvaise vie. Les prostitués hommes plus « en indépendants », pourquoi sont-ils moins exposés à l’exploitation par des macs ? Oui, de fait les hommes prostitués travaillent en indépendants, à l’abri des formes de domination qui existent parfois pour les femmes prostituées. Premièrement ils ne sont pas dans une situation où un sexe domine l’autre. Et parce que ce sont des hommes, ils ne pourraient pas faire de l’abattage à longueur de journée, et ne seraient donc pas assez rentables. Peut être aussi que le monde homosexuel est moins macho que le monde hétérosexuel… La question mériterait un développement : les clients homos sont-ils plus « haut de gamme » ? Tout simplement parce que les homos, plus que les hétéros, ont plus facilement accès aux rapports sexuels (drague dans les lieux publics et sex clubs très accessibles). On vous reprochera d’avoir présenté un tableau favorable de la prostitution... Dans l’idéal, payer pour avoir du sexe ne devrait pas exister, mais comme je le dis dans ma conclusion : en attendant la révolution sexuelle qui nous permettra à tous d’avoir une sexualité libre et épanouie, que faisons-nous ? Interdire et réprimer la prostitution ? Pour quel résultat ? Donc oui, je suis persuadé que n’importe quel individu qui se donne la peine d’examiner la réalité de la prostitution évoluera vers une attitude plus tolérante. Vous dites attendre la révolution sexuelle... Elle n’a donc pas eu lieu ? Qu’est-ce qu’on a raté en route ?

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